Les oiseaux disparus de J-J Audubon
Spectaculaire et presque emblématique, la destruction jusqu'au dernier du pigeon migrateur n'est pas un cas unique. Sur les cinq cents espèces et sous-espèces recensées en Amérique du Nord au début de la Conquête de l'Ouest, huit ont disparu en effet , une dizaine sont en voie d'extinction avancée, quatre-vingt-dix autres sérieusement menacées, deux cents de plus en déclin caractérisé. Au train où vont les choses, on peut penser qu'une vingtaine d'espèces et de sous-espèces seront éteintes avant 2050, deux siècles après la première disparition recensée. Vingt espèces en deux siècles pour la seule Amérique du Nord, cela fait cinquante fois le taux d'extinction « naturel », observé avant l'arrivée des Européens. Quant aux conditions d'existence des survivants, elles ne sont plus ce qu'elles étaient, c'est bien le moins qu'on puisse en dire.
L'importance du phénomène m'a donné l'envie d'en savoir plus et j'ai mené l'enquête avec Alain Joveniaux, ornithologue, spécialiste des oiseaux américains. Aujourd'hui, dix ans de patientes recherches plus tard, le constat est plus accablant que nous ne pouvions le craindre. Le monde vivant a perdu là effectivement huit espèces et deux sous-espèces, et la manière est plus alarmante que le fait. Car ces extinctions affectent des espèces qui vivaient tranquilles en Amérique depuis des dizaines de milliers et parfois des millions d'années, qui y étaient très abondantes, dont les populations se sont effondrées en quelques années. Le cas du pigeon migrateur n'est donc pas unique. Et, sauf un changement d'éthique que rien n'annonce, tout indique qu'il est appelé à se reproduire, en Amérique et ailleurs dans le monde.
A moins que l'exemple américain ne nous serve de leçon.
Henri Gourdin
Voir le livre d'Henri Gourdin : Les oiseaux disparus de J-J Audubon
Les huit espèces disparues
Ces huit oiseaux, qui ont été représentés par Jean-Jacques Audubon, feront chacun l'objet d'un article.
- Le pic à bec d'ivoire (lire l'article)
Second en taille et sans doute le plus majestueux de la famille pourtant nombreuse des pics américains, son vol était d'une grâce extrême, son nid d'une complexité étonnante, sa souplesse confondante, sa puissance de frappe inouïe. Il a été vu pour la dernière fois en 1944 (sauf quelques apparitions non authentifiées). - Le grand pingouin (lire l'article)
Il était l'équivalent dans l'hémisphère nord de ses homologues du sud, les fameux manchots. Attesté depuis 500 000 ans avant notre ère, décrit pour la première fois par Jacques Cartier en 1534, il disparut moins de trois siècles plus tard, en 1844. - Le canard du Labrador
L'un des rares canards marins américains. Rapide en vol, excellent nageur, il avait tout pour échapper à la fois aux pêcheurs et aux chasseurs. Il disparut en 1878, moins d'un siècle après la première observation connue. - Le pigeon migrateur américain
Il était un phénomène en soi, inséparable de l'image d'abondance qu'offrait le Nouveau Monde. Les premiers voyageurs ont décrit des vols immenses, comptant plusieurs centaines de millions d'individus. Estimée à plusieurs milliards d'oiseaux dans les premières années du dix-neuvième siècle, l'espèce s'est éteinte en 1914. - La perruche des Carolines
Seul perroquet endémique d'Amérique du Nord, il jetait dans les paysages presque tropicaux des Etats du Sud Est des notes brillantes et colorées que Catesby, Wilson et surtout Audubon ont très bien rendues. L'espèce commença à décliner du vivant de ce dernier et s'éteignit dans les années 1920. - Le tétras cupidon
Depuis quelques 18 millions d'années, il se rassemblait au printemps sur des aires de parades qui se conservaient de génération en génération. Il était si abondant sur les landes du Kentucky et sur toute l'étendue de la Grande Plaine américaine, que les chasseurs ne se donnaient pas la peine de ramasser ceux qu'ils abattaient. La sous-espèce Cupido cupido a disparu en 1931 et les deux autres sous-espèces sont en déclin rapide. - Le pic impérial
Répandu jadis dans les forêts de pin de la bordure pacifique, de part et d'autre de la frontière mexicaine, il s'est montré pour la dernière fois dans l'Etat de Durango, en 1958. - La paruline de Bachman
Oiseau d'une rare discrétion, il cachait son nid au c½ur d'entrelacs inextricables d'herbes et de broussailles et l'emportait presque toujours dans la partie de cache-cache qui l'opposait à son principal prédateur, l'homme. Aperçue pour la première fois en 1833 par un ami d'Audubon, le pasteur John Bachman, elle ne se montra à nouveau qu'en 1886, 53 ans après ce premier coucou. Il y eut encore quelques apparitions ensuite, et une dernière en 1958.