Le Pic à Bec ivoire, un dernier sursis ?
Par Alain Joveniaux (*) et Henri Gourdin
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Un plan ambitieux de conservation des habitats
Parallèlement à l'effort de recherche, un exceptionnel effort de conservation a également été déployé par les associations nord-américaines et les services fédéraux de conservation de la faune sauvage unis au sein du Big Woods Conservation Partnership afin d'assurer rapidement une meilleure conservation des forêts marécageuses du Sud-Est des Etats-Unis.
Une importante collecte de fonds privés a ainsi été entreprise pour restaurer plus de 200 000 acres de forêt au sein de ce vaste écosystème
alluvial. Il s'agit notamment :
- de mieux protéger la rivière et les habitats riverains ;
- de restaurer le réseau de chenaux qui alimentent cet écosystème ;
- de reconnecter des taches de forêts aujourd'hui fragmentées.
L'objectif est de reconstituer à terme, au coeur des Etats-Unis, un vaste ensemble de forêts marécageuses primitives, hébergeant quelques-unes des espèces menacées par le déclin de ce type d'habitat. La redécouverte du pic à bec ivoire a en effet montré l'intérêt des actions de conservation entreprises depuis de longues années par de nombreux partenaires, mais aussi galvanisé les énergies en vue d'améliorer la protection des habitats d'une espèce à l'avenir très incertain.
Une espèce en sursis
Au-delà des divers enjeux liés à la redécouverte de cet oiseau, une question subsiste : quel est l'avenir du pic à bec ivoire ? Probablement très sombre. Il ne fait aucun doute que le statut actuel de l'espèce s'avère critique. Le niveau extrêmement faible des éventuelles populations relictuelles condamne presque l'espèce à l'extinction. Les faibles surfaces d'habitat favorable aujourd'hui disponibles représentent également un sérieux handicap. Les chances de survie de l'espèce sont donc très faibles. On ne peut toutefois exclure la possibilité que quelques individus chanceux aient survécu eu égard à la longévité exceptionnelle de cet oiseau, près d'une trentaine d'années. C'est pourquoi cette espèce dont le déclin mondial marqua le XXe siècle représente aujourd'hui encore aux Etats-Unis un fantastique enjeu de conservation.
La poursuite des recherches et la mobilisation des mouvements de conservation de la nature tendent aujourd'hui à redynamiser les politiques visant à recréer dans le delta et le bassin inférieur du Mississipi de vastes blocs de forêts alluviales aptes à la conservation de nombreuses espèces végétales et animales en déclin. Des fonds importants ont été collectés dans cet objectif mais les coûts de restauration des habitats sont élevés. Par ailleurs, les difficultés actuelles de conservation dans la même région des populations du pic à face blanche, Picoides borealis, espèce menacée caractéristique des forêts claires de pins du Sud-Est des Etats-Unis, montrent également les difficultés d'enrayer le déclin d'une espèce, malgré la mise en place de nombreuses actions locales de protection. La conservation à grande échelle d'habitats favorables et la reconstitution de corridors écologiques reliant ces habitats au sein de vastes écosystèmes régionaux semblent donc aujourd'hui indispensables pour aboutir à une protection plus efficace.
Ces difficultés ne sont pas sans évoquer celles que nous rencontrons en France et en Europe pour assurer à terme la conservation de corridors naturels le long des grands fleuves comme la Loire, le Rhin ou le Danube. L'exemple américain évoqué ici constitue à ce titre une intéressante matière à réflexion mais aussi une importante source d'encouragement et d'inspiration.
Henri Gourdin et Alain Joveniaux
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